VITRIER René - Sdt - Mat 11011

1er Bataillon - A Coy

 

Soldat Vitrier René
1er Bataillon - Compagnie A
Matricule : 11011 

Mémoires de guerre de René Vitrier – engagé volontaire à la Brigade Piron



« Papa nous a quitté le dimanche 23 mars 2014. Courageux, travailleur, fier et volontaire, il a toujours été pour moi un exemple moral à suivre dans la vie. Dévoué pour sa famille, il l’a d’abord été pour son pays en participant à la campagne pour la libération. Pour ceux qui l’ont connu, papa laisse un vide immense derrière lui. Suite à ma demande, papa a rédigé le 2 mai 2013 une synthèse des événements qui ont marqué sa vie durant la guerre.

Son engagement et son témoignage démontrent son attachement et sa loyauté au pays. Le texte étant plus vivant à la première personne, j’ai opté de le laisser en l’état même si j’ai complété le récit de plusieurs anecdotes qui m’ont été maintes fois racontées.

Pour tous les risques que tu as encourus pour nous, je te dis encore une fois merci papa. Je suis fier de toi et je t’aime. » Ton fils Eric.

« Je m’appelle René Vitrier, né à Ensival le 4 juin 1923. Quatrième enfant d’une famille de six enfants, mes parents sont d’une moralité exemplaire et très patriotes.Le 10 mai 1940, notre petite Belgique fut envahie par nos voisins allemands. Mes amis et moi n’avons pensé qu’à une chose, défendre notre Patrie. A l’appel des autorités militaires et politiques, demandant aux jeunes de 17 et 18 ans de rejoindre l’armée belge qui attendait alors à Binche, nous sommes partis sur le champ pour rejoindre les combattants. Je vous passe les péripéties de ce voyage vers Binche, à pieds, en camion, en voiture, le tout parfois sous les mitraillades des avions ennemis. Bref, après plusieurs jours assez pénibles, nous sommes arrivés sur place. Hélas pour nous, l’armée n’était plus à Binche, et suivant les nouvelles instructions, nous devions aller beaucoup plus loin pour la retrouver dans le midi de la France. Nous étions très déçus mais pas découragés. La suite du voyage, je vous laisse les soins de l’imaginer. La faim, la fatigue, la peur des bombes….Au terme d’un long parcours rempli d’anecdotes, nous sommes enfin arrivés où l’armée nous attendait, dans le village de Céssenon à 20 kms de Bézier.
Une chance pour nous, nous avons été reçus d’une façon remarquable et très familiale mais notre but c’était d’aller plus loin pour rejoindre l’armée et nos alliés en Angleterre. Mais grosse déception, les officiers belges qui étaient dans le village nous ont ordonné de rentrer en Belgique.
Une fois rentrés chez nous, que faire ? Nous voulions poursuivre notre idéal, cela était très difficile et il fallait rester très discret. Aussi, ai-je eu la chance de rencontrer deux militaires belges qui avaient réussi à fausser compagnie aux allemands.
Avec eux, j’ai immédiatement accepté de coopérer pour faire de la résistance.
Mon rôle était de transmettre des renseignements sur les forces d’occupation à mes chefs, qui étaient Monsieur Roger Bergweiler (dit Rotche), évadé d’Allemagne et tué en 1944, et à son second Monsieur Kinisdale.
Je devais également transporter des armes et ravitailler des réfractaires aux travaux obligatoires en Allemagne, certains se cachant à Liège, et d’autres dans l’agglomération.
Avec mon ami, M José, nous avons un jour fait sortir de la clinique Peltzer de Verviers, deux pilotes anglais pour les remettre à nos chefs.
Durant la période d’occupation allemande, les rafles étaient assez fréquentes et c’est avec crainte que j’ai fait l’objet de deux arrestations avec interrogatoire dans la mesure où un officier allemand avait été tué par nos résistants.

Enfin, quand les alliés ont débarqué avec la First Belgium Brigade (devenue la Brigade Piron), nous les avons rejoints avec plusieurs amis. Nous nous sommes engagés volontairement pour la durée de la guerre le 24 octobre 1944 et mon numéro de matricule était le 11011.

Entré en service actif le 26/12/1944, j’ai été affecté en tant que premier chauffeur de transport de troupe et de matériel à la A Coy du 1er bataillon où je conduisais un camion Fordson. J’étais sous le commandement du capitaine Jacques Wanty secondé par son chef de peloton, le lieutenant Hardy, d’une part, et de l’Rsm Timmerman (dit Tim), d’autre part.

La période d’instruction d’infanterie, par ailleurs fort à mon goût, était calme au début mais est devenue beaucoup plus mouvementée par la suite. J’y ai fait beaucoup de camarades et les officiers et sous-officiers étaient très chics avec nous. Je me souviens cependant d’avoir écopé de deux jours de corvées pour avoir laissé quelques gouttes d’eau sur mon fusil. L’inspection des armes était très stricte et c’était donc de ma faute.
Durant notre instruction, la ville d’Anvers a subi de violents bombardements de fusées V1 et V2 et une bombe de type V1 s’est par ailleurs abattue sur notre caserne de Saint-Nicolas faisant au minimum un tué et de très nombreux blessés.

Au terme d’une instruction intensive et accélérée de 3 mois à tir réel au camp de Saint-Nicolas-Waes, nous sommes partis un dimanche de Pâques en direction de Neerpelt où nous sommes restés trois jours. La Brigade est ensuite remontée début avril sur le front dans le cadre de la seconde grande campagne de Hollande. Là il y avait énormément de boulot à faire car nous devions sans cesse rouler pour les compagnies et leur apporter soit de la nourriture, soit des munitions, soit des vêtements.

Notre destination était le réduit défensif que les Allemands avaient constitué en Hollande avec leur 15ème armée et le 1er bataillon est parti en convoi motorisé vers le Nord.
Nous avons été alignés plusieurs jours le long du bras sud du Rhin qu’est le Waal et avons ensuite traversé le Rhin à Nimègue avant de poursuivre à l’ouest entre les 2 branches du Rhin (Le Lek et le Waal). Avec mes camarades, nous étions toujours gonflés à bloc. Près d’Arnhem et de Nimègue se distinguaient encore les traces des durs combats qu’avaient menés les parachutistes anglais en septembre 1944. Je garde en mémoire la présence de tombes et de corps de soldats tombés à Arnhem. Une odeur suffocante empestait la région à cause des nombreux cadavres d’hommes et d’animaux qui pourrissaient et jonchaient toujours le terrain depuis lors.

Le service motorisé faisait partie de l’échelon B et nous devions servir l’échelon A qui était en première ligne. Le bruit du canon, la faim, le froid, la peur et le manque de sommeil étaient durs à endurer. La vie que nous menions était fatigante, d’autant que nous dormions toujours dans notre camion. Les combats étaient toujours très durs et notre 1er bataillon avait pour mission de reprendre le terrain perdu par les alliés en dépit des nombreux tirs d’artillerie. A l’approche du village d’Ochten qui était le point fort d’une position de résistance allemande, le bataillon a dû faire face à plusieurs reprises à l’agressivité de la 88ème division SS hollandaise qui procédait régulièrement à des tirs d’armes automatiques.

Les digues routières et les prairies découvertes ou inondées étaient abondamment minées et de nombreux cratères parsemaient les routes, ce qui rendait la conduite difficile et dangereuse. Une ambulance a ainsi sauté sur l’une des mines enfouies sur une digue alors que je la suivais avec mon camion.

Plusieurs maisons en Hollande étaient aussi truffées de booby trap. Même dans les rues, il y avait des mines anti-personnelles cachées dans divers objets. Je garde notamment en mémoire le souvenir d’explosifs placés sur ou sous les appuie-fenêtres ainsi que des mines cachées dans une charrette mise au travers de la route alors que j’arrivais avec mon camion. J’alertai ma hiérarchie qui envoya directement les démineurs. Ces derniers confirmèrent alors ma suspicion en découvrant ce qu’il y avait dans la charrette. 

Lorsque nous allions ravitailler l’échelon A, nous devions rester à une certaine limite de la première ligne mais mon envie me poussait pour aller dire bonjour aux amis et j’ai donc dépassé un jour la limite fixée aux chauffeurs en montant sur une chenillette « Bren carrier ». C’est ainsi qu’avec mes camarades nous avons été soumis quelques minutes après mon arrivée, à une violente concentration d’artillerie ennemie et où mon ami Jef Derboven a été tué près de moi le 24 avril 1945 aux alentours d’Ochten. C’était un très gentil garçon et sa disparition dans les derniers jours de la guerre nous a tous affecté.

 

 

Début mai 1945, l’ordre de cesser le feu fut donné sur le front de Hollande et la brigade fut envoyée dans la région de Culemborg près d’Utrecht.
A chaque ville ou village libéré, une foule énorme nous saluait et montait sur les camions pour recevoir de la nourriture car les hollandais avaient énormément souffert de la faim durant les derniers mois de la guerre. Il y avait des drapeaux orange partout et les habitants paraissaient heureux en dépit des souffrances qu’ils avaient endurées.

Notre brigade procéda ensuite au désarmement d’unités allemandes parmi lesquelles figuraient aussi des volontaires russes. Lors d’un périple, j’eu l’occasion de faire plusieurs prisonniers dans une ferme, lesquels me remirent leurs armes et équipements. On sentait que la fin de la guerre était proche et ces soldats allemands qui s’étaient rendus ne souhaitaient sans doute pas figurer parmi les derniers tués. C’est lors du désarmement d’unités allemandes que la victoire finale fut annoncée le 8 mai 1945. La victoire fut fêtée dignement dans la petite ville de Gorinchem.

 

 

 

 

La Brigade fit ensuite mouvement au milieu des troupes allemandes pour se rendre en Allemagne et commencer l’occupation.

De début mai jusqu’à la mi-décembre 1945, la brigade fut cantonnée en Westphalie. La A Coy du 1er Bataillon se situait plus précisément dans l’agglomération de Sendenhorst, près de Münster. L’état-major était installé à Oelde.

En occupation, la population allemande était fort anéantie. Tous les jours elle ramassait ce qui traînait dans les poubelles. En Allemagne, nous menions tous une vie de petit roi et de maître. Pensez donc, les « boches » n’étaient pas très fiers mais nous l’étions pour eux.

Durant notre période d’occupation, j’ai contracté une angine rouge. C’est un couple d’allemands voisin de notre camp qui m’a soigné et guéri. Il portait le nom très connu "Rosenberg". Ce couple était venu d’Amérique juste avant 1940 et n’a pas pu y retourner à cause de la guerre.

 

 

 

 

Malgré la fin officielle des hostilités, plusieurs fanatiques allemands résistaient encore et firent des victimes dans les rangs alliés. Un soir que je traversais un bois avec mon camion, celui-ci tomba en panne. C’est prudemment et arme au poing que j’entrepris de traverser le bois. Tout d’un coup, des phares puissants s’allumèrent dans ma direction. Il me fut crié en anglais de lever les mains et je fus quelques instants malmené. Après quelques explications qui furent bien entendu contrôlées par radio auprès de mes chefs, des américains m’accueillirent à bras ouverts et me dépannèrent pour la circonstance.

Vêtu de l’uniforme anglais, je me rendis un jour à la piscine.   Les soldats américains étant friands de bagarre avec les soldats anglais, ils me prirent pour l’un d’eux et me jetèrent hors du complexe sportif. Retournant vers eux en criant que j’étais un « belgium soldier », ils furent alors vraiment aimables avec moi, me prirent par les épaules et m’intégrèrent dans leur groupe. Je garde un excellent souvenir de cette franche camaraderie où je fus par ailleurs fort gâté par nos alliés.

 

C’est par un jour d’hiver, le 24 décembre 1945, que la brigade est repartie pour la Belgique afin d’y être démobilisée. Le 1er bataillon fut envoyé à Bruges. Le trafic était dense le long des routes étroites. C’est lors d’un convoi que je fus victime d’un accident avec un camion venant en sens inverse. Son chauffeur avait bu plus que d’habitude et l’impact me fit perdre toutes mes dents. Le chauffeur responsable de l’accident perdit malheureusement la vie dans ce dernier. 

 

De mon passage à la Brigade Piron, il me restera toujours des souvenirs très émus alors que nous étions tous si jeunes. Le temps n’a jamais effacé toutes les horreurs dont nous avons été les témoins. Je ne regretterai néanmoins jamais mon passage à la Brigade où chacun fit de nombreux sacrifices, au péril parfois de sa vie.

Notre amour du pays et notre soif de liberté nous ont permis d’endurer toutes ces épreuves. Il est indispensable de rappeler ces sacrifices aux générations futures, non seulement pour que ces événements dramatiques n’arrivent plus, mais aussi pour que ceux qui se sont faits tués dans la force de l’âge ne tombent jamais dans l’oubli.


 

Soldat Vitrier

 

 

 

 

Témoignage transmis par son fils Eric que nous remercions très sincèrement.

Tous droits réservés.