DEBRY Joseph - Sdt - Mat 3548

MORAY Lucien - 1Sdt - Mat 4427

3ème Compagnie - 5ème Peloton d'Assaut

Histoires de deux légionnaires Belges de la 3e compagnie.

Sdt Debry Joseph
3ème Compagnie – 5ème Peloton d’Assaut
1ère Section – Matricule 3548

1er Sdt Moray Lucien
3ème Compagnie – 5ème Peloton d’Assaut
3ème Section – Matricule 4427

Joseph Debry

Joseph Debry part pour Ypres le 12 mai 1940,  suite à un appel du Gouvernement Belge,  affiché et ordonnant à tous les jeunes gens de se rendre dans un C.R.A.B. (Centre de Réserve de l’Armée Belge).
Evacué le 18 mai à Bagnères de Luchon,  il est rapatrié après la défaite française, le 15 août 1940.  Un convoi les ramène en Belgique mais arrivé à Vierzon,  Joseph Debry quitte le train et gagne la zone libre en vélo.  Il  passe la ligne de démarcation sans s’en rendre compte... et retourne à Luchon demander « l’asile politique ».  Il y passe l’hiver mais le 15 février 1941, il est arrêté pour avoir tenté de passer illégalement en Espagne.  Le voilà « en tôle » à la prison Saint-Michel à Toulouse.  Comme il est interné politique, on le transporte au camp de Recibedon dans la Haute-Garonne et plus tard à Argèles-sur-mer. Il s’en évade mais est repris par la police de Vichy,  dans le quartier du vieux port,  à Marseille. 
Menacé d’être « livré aux Allemands » de l’autre côté de la ligne de démarcation,  il n’y a plus qu’une issue : un engagement à la Légion Etrangère.

Le 7 janvier 1942 il est au camp de Sainte-Marthe,  à Marseille,  d’où on le transporte au C.I.F.V. à Saïda puis au C.I.M.M. à Aïn el Hadjar.
Le voilà au 1e Régiment Etranger d’Infanterie.  Il s’y trouve le 8 novembre 1942. 

"J’étais personnellement affecté à la C.I.C.S. (Compagnie d’Instruction des Cadres et Spécialistes) au Quartier Prudhon à Sidi Bel-Abbès.  Dans la nuit, nous fûmes réveillés et ... consignés au quartier pour 48 heures.  Deux jours plus tard quand le succès des Alliés fut confirmé,  toutes les photographies du Maréchal Pétain qui occupaient la place d’honneur dans les bâtiments officiels (Allée d’honneur du monument aux morts de la Légion,  grand quartier « Viennot »,  mess des officiers,  bureau du colonel Barre commandant le D.C.R.E.), disparurent en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire et furent remplacées par celles des généraux Weygand et Huntziger.  Les chefs de bataillons,  commandants de compagnies et de sections qui semblaient très loyaux à Vichy,  devinrent instantanément pro-alliés.  Ils ne se montraient par ailleurs,  aucunement « gaullistes » mais acceptèrent d’être commandés par le général Giraud.  Je fus par la suite affecté au 1e bataillon du 1e REI.  Nous fûmes embarqués dans un train classique militaire : composé de wagons à bestiaux qui pouvaient contenir 40 hommes ou 12 chevaux.  Déposés à Constantine nous avons rejoint le secteur français en camion et à pied.
Je remplissais les fonctions de tireur dans une équipe de mitrailleurs servant une Hotchkiss Modèle 1914.  Mon lieutenant s’appelait Pascali,  le sergent se dénommait Bienvaux et je me souviens de mes camarades Légionnaires GouzotMazzaOrtega.
Je n’ai pas participé aux opérations de janvier 1943 sur les pentes du Djebel Mansour parce que j’ai été évacué sur l’hôpital de Bougie.  Au début de février 1943,  je retournais à Sidi Bel-Abbès pour être remis à la disposition des Forces Belges de Grande-Bretagne". 

Anecdotes durant la campagne de Normandie avec la Brigade Piron, Joseph Debry raconte,

L’Opération Mosquito :

« Le jour même où nous remplacions les Anglais à Sallenelles,  le Général Piron m’a dit :  « vous prenez 6 types,  je veux à tout prix un prisonnier allemand ».
Le mot de passe était mosquito ou Albert.  Nous avons alors poussé jusqu’au blockhaus de Franceville avant d’être pris sous le feu des mitrailleuses.  Après le tir,  nous étions dispersés,  moi,  je suis rentré avec un sergent qui avait très peur,  il n’arrêtait pas de répéter « Mosquito » tout bas,  lorsque j’ai crié « Mosquito » très fort,  l’un de nos hommes a crié : « Tais toi,  tu peux rentrer, cela fait deux heures qu’on sait que tu es là ».

Le passage de la Dives :

Nous étions en route dans notre marche libératrice.  Vers le 20 août,  nous nous sommes retrouvés face à la Dives : nous avons alors franchi la rivière avec des cordes que les commandos avaient placées là.
Nous avons alors foncé sur Houlgate : l’armée allemande était en pleine retraite et laissait quelques tireurs ou quelques canons en arrière-garde afin de nous freiner,  mais nous avons poussé jusqu’à Honfleur en trois jours,  après la résistance allemande à Blonville qui a duré 24 heures.
Dans ma compagnie,  on était quarante et on s’est retrouvé à 15 à Pont-Audemer,  les autres étaient blessés ou morts.
Après,  il y a eu la libération de Bruxelles,  les campagnes de Belgique et de Hollande
"

Traversée de la Dives.
La Brigade arrivant à Dives-sur-Mer

 

Soldats de la Brigade à Houlgate    
  Libération d’Honfleur

Mais Joseph Debry était un vrai mordu !  La Légion Etrangère ?   C’est aussi comme une drogue.  Quand on en a goûté,  on y retourne.  Joseph Debry l’avait quittée pour venir se battre avec nous en Normandie.  Il est retourné en 1947,  en Indochine.  Et pourtant,  comme il me l’a raconté,  il eût l’impression de voyager en 3e classe après avoir été en pullman.  En effet,  la Légion se battait dans le sud-est asiatique,  à la fin de la guerre,  avec des moyens désuets comparés à ceux qui étaient les nôtres pendant les opérations du débarquement.  Pierre Polain est tombé au Tonkin,  Charles Weirich aussi.  Ils étaient «mes » légionnaires...

 « Les Belges et la Légion  Etrangère » par Guy Weber

 

Lucien Moray

Lucien Moray s’évade de Belgique après de multiples aventures,  il avait abouti au camp Sainte-Marthe à Marseille et s’était engagé le 25 avril 1941 dans la Légion Etrangère.  Tondu,  vacciné,  équipé il fut envoyé à Avignon pour faire son instruction.  Embarqué pour l’Algérie,  son histoire n’est pas différente de celle de Louis Brusselmans et de tous les légionnaires de cette époque.  Mais au cours du débarquement allié en Afrique du Nord,  il est chargé par son chef de bataillon de porter un pli à l’état-major.  Il enfourche le vélo des estafettes,   remplit sa mission et pédale jusqu’à Mers-el-Kébir pour se réfugier sur un bateau américain.  Il se croit sauvé... Mais l’armistice signé vingt-quatre heures plus tard,  et le ralliement français à la cause alliée,  vont obliger ses hôtes à le remettre à la Légion où il réapparait entre des policiers militaires de l’Oncle Sam.  Il encaisse quinze jours de prison,  on lui promet sa comparution devant un Tribunal Militaire d’Alger,  mais l’heure n’est pas aux règlements de compte... En avant pour le baroud !  Comme Lucien Moray ne demandait qu’à en découdre avec les Allemands – son père avait été victime des gaz au cours de la première guerre mondiale – il se joint allègrement aux contingents en partance pour le front.  Laissons-lui la plume pour un récit plus éloquent qu’une page  d’histoire militaire :

"Dès le surlendemain du débarquement allié en Afrique du Nord,  on formait des détachements qui allaient se précipiter en Tunisie pour faire face aux Allemands.  Le colonel Lambert forme le 3e REI avec des hommes venus du Maroc.  Le 1e REI du colonel Gentil est composé de la demi-brigade rentrant du Sénégal et des effectifs prélevés sur les unités de Bel-Abbès.
Nous voilà dans un train : 800 kilomètres en chemin de fer à voie unique dans un terrain montagneux.  Nous avons cru que la vieille locomotive n’y arriverait pas.  Et pourtant,  sitôt débarqués en Tunisie,  notre mission est confirmée.
Nous devons progresser par El-Aroussa,  Bou-Arada vers la Grande Dorsale et le Djebel Mansour.

Le baptême du feu est inauguré par l’aviation allemande.  Comme on nous sert un quart de « gniole »,  cet espèce de genièvre ou l’alcool à brûler...nous devinons qu’un coup dur nous attend.  Une plaine,  les djebels à l’horizon :
« En avant ! ».  Sitôt engagés dans la plaine,  un déluge de feu s’abat sur nos carcasses.  Il n’est pas question de reculer.  Malgré les morts et les blessés,  par bonds,  comme sur le terrain d’exercice,  nous progressons.  Un éclatement voisin me fait faire un énorme cumulet.  Il me faut tout un temps pour retrouver mes esprits... Je dois avoir la « baraka ».

Nous atteignons les premiers contre-forts,  exténués.  Notre progression s’est faite sans le support de l’artillerie et pas un char ne nous accompagne.  Dans l’équipe de mitrailleurs,  le porteur de trépied est littéralement à bout de souffle.
D’un trait,  il vide son bidon de pinard.  Nous voici donc au Djebel Mansour et il faut installer les positions pour la nuit.  Des noms surgissent pêle-mêle dans la mémoire : la vallée d’ousseltia,  le plateau de Maktar,  le col de Djelloula,  Pichon... Comme c’est loin !

Aux environs du 12 décembre 1942,  le temps devint exécrable,  nous pataugions dans nos trous de combat,  creusés dans un sol calcaire et pratiquement imperméable.  Le ravitaillement nous arrivait péniblement et nous étions infestés de poux.  S’approvisionner en eau constituait une prouesse.  En effet il fallait se rendre au barrage de l’Oued El Kébir et les Allemands nous surveillaient.  Notre position occupait le flanc de la montagne.

La batterie de canons de 25 mm,  dont je faisais partie,  avait été placée en bordure de la route qui mène à Pont-du-Fahs.  Des pièces de 75 mm nous secondaient plus à notre droite.  Nous avons mené avec succès,  plusieurs escarmouches contre les positions allemandes.  Un de leurs avions qui survolait nos lignes,  entre les montagnes,  fut abattu par nos mitrailleuses jumelées.  Je fus légèrement blessé au dos et au bras lors d’une patrouille mais la « baraka » me poursuivait.  Nous étions pleins d’admiration pour les Goumiers qui accomplissaient avec audace leurs promenades nocturnes.  Ils partaient la nuit tombante,  armés de leur seul fameux couteau et rentraient au petit matin avec un véritable arsenal et des prisonniers nazis complètement dévêtus.

Position de la batterie de canons de 25mm 
 dans les environs de Pont-du-Fahs 
Position de l’équipe de mitrailleurs

Photos « Képi Blanc »

A l’aube du 20 décembre,  les Tabors et les Tirailleurs Marocains attaquent les lignes italiennes.  Mais les blindés allemands interviennent avec leur aviation.
Ils bloquent l’offensive française vers Fkirine et ramènent nos troupes à leur point de départ.  Nous subissons de lourdes pertes jusqu’à l’arrivée des chars américains et d’auto-mitrailleuses britanniques.

Les 27 et 28 décembre sont d’affreuses journées de combat : nous sommes saillis par des chars lourds allemands contre lesquels nos petits canons ne peuvent rien.  Notre pièce reçoit un coup de plein fouet et devient inutilisable.
Trois servants sont tués,  un autre blessé.  Je me retrouve projeté,  étourdi,  à cinq mètres de notre misérable canon.  Nous devons battre en retraite vers le sommet de la montagne sous un déluge d’acier.  Nous sommes obligés d’abandonner nos morts et nos blessés.  C’est un duel atroce et inégal entre les 75 mm français et les chars allemands.  Que de pertes... La nuit qui tombe met fin à cet holocauste.  Nous nous enterrons.  A l’aube,  l’aviation alliée vient nous venger.  Les blindés allemands se retirent dans l’après-midi.  Sales,  harassés,  hagards,  perdus,  nous nous cherchons les uns les autres dans la zône des arrières.  On nous distribue des fusils américains et des tenues propres.  Le temps ne s’arrange pas.  Le charroi s’enlise dans la boue.  Que ferions-nous sans nos bons vieux mulets ?  Nous percevons de plus en plus la montée des renforts anglo-américains.  Aurions-nous accompli notre mission : « Tenir jusqu’à leur arrivée ?  L’année s’achève sur cette hantise : voir les Boches foncer sur nous avec leurs mécaniques blindées,  ces énormes « Panzers » et cette aviation supérieure à la nôtre.  Les chars « Tigre » se montrèrent encore du 8 au 28 janvier 1943.  Je n’étais plus canonnier.  J’étais redevenu un fantassin ordinaire.
Nous n’avions plus de canon... Le rêve allemand consistait à prendre le barrage de l’oued El Kébir,  la Grande Dorsale et à faire irruption sur Tebessa.  Cette dernière bataille marque le point culminant de la campagne de Tunisie.  Les Stukas nous assaillent et nous n’avons pas de DCA (Défense contre avions).
Isolés sur le piton rocheux du Ragoulet-el-Biad,  nous sommes parvenus,  de nuit,  par groupes,  à nous faufiler entre les véhicules allemands pour rejoindre le massif de Bargou.  Légionnaires,  Spahis,  Tirailleurs Marocains et Goumiers tiennent la Grande Dorsale à tout prix.  Notre position se situe au nord du Col de Djelloula.  Nous voyons les blindés ennemis évoluer dans la vallée de l’ousseltia.  Mais les chars américains s’en mèlent.

Longtemps après la guerre,  j’ai appris de la bouche d’un officier de la Légion, à Aubagne,  que les unités de la Légion Etrangère avaient payé un terrible tribut à cette campagne et que plus de 250 Belges,  engagés dans les képis blancs,  avaient été tués.  Je n’oublierai jamais cette période du 18 au 28 janvier 1943.
Je n’aurais pas du y survivre.  Elle dépasse en tueries tout ce que j’ai pu connaître par la suite,  pendant la campagne de Normandie,  celle de Belgique ou de Hollande.  L’aide américaine,  équipée de tanks « Shermann » et de « Tank Destroyers »,  ces half tracks surmontés d’un canon de 75 mm,  allait souffrir en face des « Tigres » et canons de 88 mm allemands,  notamment devant Sbeïtla.  Le front ne se stabilisa qu’en fin février 1943.  Je me souviens de cette ligne : Bargou-Serdj-Le Kef-Goria-Barbou-Chambi et le plateau de Bou-Chebka.  Et de cette fine pluie glacée qui ne cessait de nous transpercer les épaules.  Les Allemands voulaient prendre Tebessa mais semblaient à bout de souffle.  Nous avons repris Kasserine,  Sbeïtla,  Feriana.  Nous avions la sensation d’avoir le dessus en ce mois de mars 1943.  Les forteresses volantes américaines étaient entrées en action.  Mais les mines laissées sur les arrières de l’ennemi,  éclaircissaient nos rangs.  En avril,  nous avons attaqué vers Pont-du-Fahs,  Enfidaville,  Zaghouan et Depienne.  Nous étions submergés par le nombre des prisonniers allemands.

Ma grande consolation est d’avoir participé au défilé de la victoire à Tunis.
En effet,  la Belgique n’a jamais reconnu les souffrances endurées pendant cette campagne.  Pourquoi ?  Mais nous étions « français »... Jusqu’au 25 août 1943, date à laquelle je fus mis à la disposition de l’Ambassade de Belgique à Alger pour rejoindre les Forces Belges de Grande-Bretagne.
"

« Les Belges et la Légion Etrangère » par Guy Weber

 

Lucien Moray raconte,

"Arrivé en Grande-Bretagne,  Lucien Moray s’engage à la Brigade Piron. Il y retrouve des anciens légionnaires belges dont Pierre Dufrane,  qui avec le 1e REC participa également à la campagne de Tunisie ainsi que beaucoup d’autres belges de la Brigade.  Lucien Moray se retrouve dans la 3e compagnie,  au 5e peloton d’assault.  Il sera l’adjoint du sergent Pierre Dufrane dans la 3e section.  Nous avons reçu Louis Thumas comme lieutenant,  il a su nous comprendre,  il nous a dit : « Je comprends votre point de vue,  je vous fous la paix,  mais je vous demande d’être correct pendant les opérations militaires ».  Il a laissé la main aux anciens légionnaires,  on s’est occupé des jeunes,  on cassait la gueule à ceux qui nous empoisonnaient.  Thumas était très fort,  il n’était pas à cheval sur le règlement et il avait une confiance absolue en ses hommes,  il marchait d’ailleurs toujours en tête !"


Photo prise en Normandie, quelques hommes du 5ème Peloton d'Assaut de la 3ème Compagnie.
debout,  de gauche à droite : Deman, Hanzen, Michel, ?, Mureau
accroupi,  de gauche à droite : Dinant avec bérêt, Eveling et Debry (torse nu), ?, ?
Photo extrait du livre « 1944 Des Belges en Normandie » de Guy Weber



Sallenelles (Normandie).  Juin 1975,  devant la plaque où Gérard fut tué.
Le dernier carré du 5e peloton de la 3e Cie de la Brigade « Piron »
de gauche à droite : Hanzen,  Debry,  Moray,  Thumas et Weber
Photo extrait du livre "Tempêtes dans la baie de Sallenelles" de Guy Weber